Gand, Isabelle Bambust - De plus en plus souvent, les tribunaux se voient confrontés à des éléments internationaux. Il arrive par exemple qu’un tribunal français doive appliquer des lois qui ne sont pas françaises, ou que les parties n’aient pas la nationalité française, ou encore, que les parties n’habitent pas en France.
Lorsqu’une partie réside dans un autre pays, la communication de documents importants du dossier judiciaire n’est pas simple du tout. Pensons à la langue de ces documents. Un document parisien en langue française pourrait par exemple se heurter à la langue officielle néerlandaise des Pays-Bas où le destinataire du document réside, ou à la propre langue du destinataire qui ne maîtrise pas forcément la langue néerlandaise.
Quand la communication a lieu entre deux pays européens, ce problème linguistique est résolu par le Règlement européen n° 1393/2007. Il faut plutôt lire « presque résolu ». En effet, la règle contient deux solutions alternatives pour éviter que le destinataire ne s’oppose à l’emploi des langues. Soit le document est rédigé ou accompagné d’une traduction dans une langue officielle du lieu où la communication est réalisée. Soit le document est rédigé ou accompagné d’une traduction dans une langue comprise du destinataire.
Cela a pour conséquence que le destinataire ne peut pas s’opposer si le document est rédigé ou accompagné d’une traduction dans la langue officielle, bien qu’il ne comprenne pas cette langue officielle. Comme l’exprime Thouret: « (…) [L]a règle ne garantit pas de manière absolue le droit d’obtenir une traduction dans une langue comprise par le destinataire. »1 L’auteur donne l’exemple suivant : « Un ressortissant italien réside en Allemagne et reçoit une signification d’un jugement de divorce français. L’exploit est accompagné d’une traduction en allemand. S’il ne comprend ni le français ni l’allemand, le destinataire ne pourra toutefois exiger une traduction de l’acte en italien. »
Ce qui me semble assez grave, c’est que l’Union européenne est bel et bien consciente de cette approche abstraite. Elle accepte qu’il y ait des situations dans lesquelles le bénéficiaire a le droit de refuser de recevoir un acte alors qu’il en comprend la teneur. Et, à l’inverse, des situations dans lesquelles il n’a pas ce droit alors qu’il n’en comprend pas un mot.
Ainsi, la décision anglaise du High Court of Justice, rendue le 23 octobre 2015, est extrêmement intéressante. Une procédure se déroule en Angleterre et une des parties, madame Arkhangelskaya, réside en France. On doit lui communiquer des rapports d’expertise (rédigés en langue anglaise) en France. Les connaissances en anglais de madame Arkhangelskaya sont très limitées. Elle est russophone.
Son représentant pro bono (volontaire et non payé) est monsieur Pavel Stroilov. Dans la décision, monsieur Pavel Stroilov est considéré comme un (ce qu’on appelle en droit anglais) « McKenzie friend » (un ami McKenzie). Un « McKenzie friend » est une personne qui ne représente pas la partie, mais qui l’assiste dans le procès. Monsieur Pavel Stroilov réussit à critiquer la dualité linguistique dans la solution européenne (voir la page 15 – considérant 61). Il explique que, techniquement, la suprématie de la langue officielle reste possible (même si le destinataire ne la comprend pas), mais que cette prépondérance n’est pas défendable par rapport au principe du procès équitable.
Le juge – Lord Hildyard – suit la position de monsieur Stroilov et exige donc que les rapports soient traduits en langue russe (voir la page 17 – considérant 65). Que dire de la belle pensée suivante : « Whilst I am not convinced that to deny them [the Defendants] such opportunities would of itself result in a breach of any enforceable right, it seems to me that the balance plainly favours eliminating this potential source of apparent potential unfairness. » Malheureusement – et il s’agit là d’un petit bémol quant à ma propre thèse personnelle – le juge tient compte du fait que la partie n’était pas représentée par un avocat proprement dit. Donc, si madame Arkhangelskaya avait eu un « vrai » avocat, le juge en aurait peut-être décidé autrement…
Toute observation de traducteurs, d’interprètes ou d’autres lecteurs est la bienvenue.
Isabelle Bambust (
Une nouvelle chance pour une protection linguistique plus personnelle, grâce à la Chancery Division (High Court) en Angleterre – Voir Bank St Petersburg PJSC, Alexander Savelyev v. Vitaly Arkhangelsky, Julia Arkhangelskaya v. Oslo Marine Group Ports LLC 23 octobre 2015, High Court of Justice (Angleterre), Chancery Division, HC-2012-000165
La décision du High Court of Justice en PDF
(1) S. THOURET, « Signification et notification des actes de procédure. – Colloque Divorce – Aspects de droit international privé », Droit de la famille 2008, n° 11, étude 23.